Les messages clairs (d’après Danielle Jasmin) et le conseil de coopération

Comment, lors d’un conflit entre enfants, entre élèves, aboutir à un authentique compromis où chacun trouve sa place, et ainsi éviter d’entrer dans la spirale de la violence ?

Les travaux de Danielle Jasmin, enseignante au Québec, nous orientent vers l’utilisation des « messages clairs ».
La notion nouvelle de « climat scolaire » avec la parution du guide « Agir sur le climat scolaire à l’école primaire » souligne la préoccupation de tous les acteurs de s’engager dans la prévention des violences.

Le programme d’Enseignement Moral et Civique présente l’intérêt des messages clairs pour développer la dimension SENSIBILITÉ des élèves.

La technique des Messages Clairs répond à des critères précis. Elle a été précisément décrite par Danièle Jasmin. Il s’agit d’en comprendre les enjeux et les conditions de réussite.


Lire en bas de page : Que faire lorsque les messages clairs ne fonctionnent pas ?


« La violence est la parole inaboutie »
Lacan
« un message clair est une petite formulation verbale entre deux personnes en conflit : une victime, qui se reconnaît comme ayant subi une souffrance et un persécuteur identifié par la victime comme étant la source de ce malaise. […] Un message clair se veut donc une rencontre non-violente entre deux personnes en conflit qui vont être amenées à se dire d’abord ce qui, dans les faits, a été la cause de la souffrance et ensuite les sentiments que ces faits ont produits. »

Extrait de l’article « La prévention des conflits par le message clair », Sylvain Connac, ICEM 34

Les messages clairs, une réponse à plusieurs hypothèses :
1. de nombreux conflits importants ont une origine qui pourraient facilement être désamorcée avec des compétences sociales construites, et en faisant l’expérience accompagnée de la démocratie et du vivre ensemble, de l’apprendre ensemble,
2. Les élèves sont capables de réguler les petits conflits par la parole si ils y sont accompagnés par un cadre bienveillant, rendant possible les apprentissages et les erreurs,
3. La violence apparaît lorsque la cause de la souffrance et les sentiments produits ne sont ni identifiés, ni exprimés et verbalisés,
4. Apprendre à entrer en communication avec l’autre nous aide à mieux vivre ensemble, dans la compréhension et la rencontre avec l’autre.

Les messages clairs s’enseignent

L’outil des messages clairs réside dans un cadre qui se doit d’être extrêmement rigide jusqu’à ce que les élèves soient de véritables experts. Une mauvaise utilisation de celui-ci peut en effet générer une détérioration du climat scolaire. Il s’agit d’être vigilant et d’enseigner les messages clairs. Ainsi, ils seront présentés et l’enseignant mettra en place un véritable module de formation à l’usage de ceux-ci. Par la mise en scène et les jeux de rôle, les élèves découvriront l’outil, et feront l’expérience de tenir alternativement les rôles d’auteur du message (la « victime ») ou de récepteur du message (l’« agresseur »). Ils s’entraîneront à utiliser et maîtriser les structures langagières imposées. Ils apprendront à discerner les situations qui relèveront d’un message clair, de celles qui exigeront une réponse différente. Le module de formation leur permettra de développer leur capacité à identifier et exprimer leurs sentiments et leurs émotions, préalable indispensable à cette parole claire.

L’individu et le groupe

Lorsqu’un auteur considère qu’il a été entendu, le message clair empêche qu’un conflit ne se développe.
Néanmoins, il arrive que les messages clairs ne soient pas clairs ou qu’ils ne permettent pas de désamorcer le problème. L’outil permet à deux personnes d’utiliser la parole pour se rencontrer, d’engager les élèves dans un échange langagier salutaire, et de marquer leurs désaccords. En considérant les messages clairs, non comme un simple outil, mais comme un élément d’un système complexe et cohérent, il devient envisageable de faire du groupe une microsociété agissant au service de la construction des compétences sociales et civiques. Ainsi, lorsqu’un message clair n’a pas abouti, l’élève doit avoir la possibilité d’attirer l’attention du groupe pour l’aider à trouver une solution. Sous la forme de moments institutionnalisés, tels que les conseils de coopération (cf fiche annexe), les situations pourront être explicitées, mises à distance. Des solutions pourront être proposées, débattues … et mises en œuvre pour améliorer la vie du groupe, le bien-être de chacun, au bénéfice des apprentissages. A l’image des messages clairs, ces moments donnent une existence aux « JE ». L’individu est amené à mettre en mots ses sentiments et ses émotions. Ils reposent sur l’émergence des singularités, l’expression des représentations et des désirs personnels. En réussissant à les canaliser, l’école accueille l’enfant et l’accepte en tant que personne, tout en évitant que l’expression des « je » ne se fasse dans la toute puissance. Mettre en œuvre et instituer de tels lieux permet à de nombreux élèves de prendre le temps de se construire. Accueillis, écoutés, ils sont reconnus et apprennent progressivement le groupe.

Témoignage :

Notre école, située en éducation prioritaire (RRS), met en place depuis 2004 de nombreuses pratiques et outils professionnels au service d’un apprentissage du vivre ensemble. Ceux-ci forment un ensemble cohérent, et les élèves trouvent classe après classe des repères communs, stables et ritualisés.
Comme dans de nombreux établissements, l’école accueille en cours de scolarité et d’année des élèves nouveaux.
Nous avons observé que ces enfants, parfois en situation scolaire précaire, avaient pour habitude de gérer leurs conflits par la violence, la menace ou les insultes, avec défiance envers les adultes de l’école. Conséquence d’habitudes antérieures ou compétence sociale non développée, ils sont toujours surpris de constater que les incidents de la vie de classe ou d’école ne sont pas « réglés » par la seule et unique voix de l’adulte et « ses » punitions.
Cette immersion « forcée », cette plongée dans les messages clairs, les ceintures de citoyen ou autres conseils de coopération, ne se fait pas sans heurts, mais s’est jusqu’à présent toujours transformée de façon très positive.
Nombreux sont-ils parmi eux à être déstabilisés par la confrontation aux camarades de classe ou d’école, véritables pairs cherchant quand eux le désamorçage du conflit par le dialogue ou par le groupe.
Ces élèves, d’abord en marge de tous dialogues et d’échanges, apprennent peu à peu le dialogue, l’écoute, l’argumentation et la vie en groupe, la vie de groupe.
Aurélien MANGOT, professeur des écoles à l’école élémentaire Léon Blum à Lomme depuis 2008

Faire confiance

L’efficacité de l’outil des messages clairs repose en grande partie sur la confiance. Celle-ci est indispensable, non seulement parce qu’il est bien sûr impossible de contrôler l’ensemble des messages clairs formulés, mais aussi parce qu’elle est un préalable à la responsabilisation des élèves. Cette confiance, en soi, envers l’autre, devra donc être recherchée. Elle est à la fois gage d’efficacité, et obstacle. Elle exige de la part de l’enseignant d’accepter le lâcher prise, accepter de ne plus être celui qui sait, maîtrise et gère tout, mais devient celui qui accompagne les élèves, leurs apprentissages, et organise le parcours d’une véritable construction citoyenne et sociale, avec bienveillance et écoute.

Faire confiance, c’est d’abord se faire confiance. L’estime de soi apparaît alors un élément incontournable. L’ensemble de l’action de l’enseignant devra être penseée de manière à ce que chacun des élèves puisse construire une image de lui-même positive, l’autorisant à prendre le risque des apprentissages.

Une communauté d’adultes

Apprendre, en général, et apprendre à vivre ensemble en particulier, est angoissant. Les élèves, pour oser, ont besoin de se sentir en sécurité. Les variables agissant sur la mise en œuvre de ce cadre sécurisant sont nombreuses, mais ce climat est aussi dépendant de la qualité du travail d’équipe. Les élèves s’engageront d’autant plus facilement qu’ils sentent que les adultes de l’école font communauté. Ce travail d’équipe est d’abord évalué par les élèves à partir des actes, des choix et des attitudes collectives des adultes. La force de l’équipe réunie autour de valeurs et d’un langage commun professionnel rassure et autorise chacun à oser faire l’expérience des messages clairs. Mais faire communauté n’est pas simple. Les pratiques pédagogiques engagent les valeurs personnelles des enseignants. Les choix, en matière d’organisation et de pratiques pédagogiques, gagnent à être explicités, partagés et débattus. Prendre le temps de nourrir la controverse autour des pratiques (sans crainte du jugement) et apprendre à se connaître professionnellement facilitent la construction du groupe enseignant. Des valeurs explicitées et communes pourront être mobilisées au besoin pour répondre avec cohérence aux doutes, difficultés ou situations nouvelles. La confiance et l’unité ainsi construite permettront à chacun de vivre l’aventure que représente la formation des élèves à la non-violence.

Accepter les conflits

En reconnaissant les « je » au sein du groupe, l’enseignant autorise la confrontation des divergences. Il accepte les conflits, et « fait avec pour aller contre ». Il reconnaît le conflit comme naturel et inhérent aux relations humaines. Il accepte de faire de la différence un levier, et tout en donnant de la valeur aux singularités, met en place les conditions d’un apprentissage de l’autre et du groupe.

Par leurs limites et leur langage, les messages clairs organisent et favorisent la prise de distance. La parole des messages clairs met en mots les conflits. Le débat des idées et des croyances s’ouvre et efface celui des personnes. En acceptant de confronter ses représentations, sa façon de voir, à celles de l’autre (dans une démarche de recherche de solution), chacun prend conscience des différences de perception d’un réel partagé. L’individu apprend à entendre et à prendre conscience des sentiments de l’autre, à penser ce qu’un geste, un mot, une attitude ont pu provoquer. Le doute est alors permis, et la rencontre amène chacun à accepter de partager, discuter et modifier sa vision du monde. Ce qu’il croyait juste, vrai et défendait devient alors un objet en construction, dont l’outil sera la parole. Progressivement, les élèves pourront intérioriser cette expérience sociale du conflit, et apprendront à mettre à distance leurs conceptions et réactions premières par le langage intérieur ainsi développé.

Aider les élèves à apprendre à gérer les conflits, c’est considérer le vivre ensemble comme un apprentissage à réaliser, donc comme un enseignement à mener. Dans ce domaine, comme dans celui de l’apprentissage de la lecture ou du calcul, l’apprenti s’essaiera, tâtonnera, fera des erreurs. Celles-ci exigeront un accompagnement de l’enseignant d’autant plus grand que l’élève sera fragile ou en décalage avec l’élève prétendument rêvé ou attendu. La sanction, lorsqu’elle apparaîtra, devra porter ce double objectif :

  •  marquer l’interdit, la limite,
  • permettre à l’élève de prendre conscience de son erreur et lui donner la chance de poursuivre ses expériences dans le domaine du vivre ensemble. La sanction devra donc se garder de contribuer à faire sortir l’individu du groupe, et devenir un outil d’aide aux élèves. On se gardera bien de stigmatiser, comme on évitera les « punitions » qui nourriraient rancœur et dédain à l’égard de l’école ou d’autrui.

Les messages clairs, un outil au service des apprentissages

En donnant un cadre de référence commun à l’ensemble des élèves, les messages clairs sécurisent la prise de risque. Ils sont un outil permettant aux élèves d’oser faire l’expérience de la parole socialisante. Ils autorisent les essais, les erreurs, le tâtonnement et participent ainsi à faciliter les apprentissages nécessaires au développement de la compétence sociale des élèves. Ils nécessitent (au même titre que pour l’ensemble des apprentissages) un accompagnement des élèves qui rencontrent des difficultés à apprendre à utiliser la parole. Ici aussi, l’enjeu est de réduire les inégalités sociales en donnant à ceux qui n’ont pas la chance de venir à l’école avec une parole aboutie, la chance de construire les outils nécessaires pour agir sur le monde avec raison …

Ressources

Bibliographie :

  • Le conseil de coopération, Danielle Jasmin. Chenelière/Didactique. 1994
  • Le « Climat scolaire » : définition, effets et conditions d’amélioration. Rapport au Comité scientifique de la Direction de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale. MEN-DGESCO/Observatoire International de la Violence à l’école. Debarbieux, E., Anton, N. , Astor, R.A., Benbenishty, R., Bisson-Vaivre, C., Cohen, J., Giordan, A., Hugonnier, B., Neulat, N., Ortega Ruiz, R., Saltet, J., Veltcheff, C., Vrand, R. (2012).
  • La formation d’enfants médiateurs, coordonné par Sylvain Connac.ICEM 34
  • Apprendre avec les pédagogies coopératives, Sylvain Connac. ESF éditeur

Autres ressources :

Des albums pour aider les élèves à identifier leurs émotions :

  • La couleur des émotions, Anna Llenas

couleuremotions

  • Silences, Jérôme Ruillier

silences

  • Aujourd’hui, je suis …, Mies Van Hout

aujourdhuijesuis

Le conseil de coopération

Le conseil de coopération est un moment institutionnalisé. Le terme est utilisé pour définir la réunion de l’ensemble des élèves et adultes de la classe. Ce conseil a pour objectif de gérer la vie de la classe, son organisation, les modalités de travail, les responsabilités, les relations interpersonnelles, les projets …
Danielle Jasmin écrit qu’il « est un lieu de gestion où chaque enfant a sa place, où l’individu et le groupe ont autant d’importance l’un que l’autre et où les dimensions affectives et cognitives sont traitées en équilibre. Il sert à développer des habiletés sociales de coopération, à faire l’apprentissage des droits collectifs et individuels avec la conscience des responsabilités que ces droits supposent. »L’ordre du jour est préparé :

  • retour sur les décisions du conseil précédent,
  • félicitations,
  • recherche de solutions à un problème rencontré,
  • propositions pour la classe.

Chacun s’y exprime, réagit. Le président anime la réunion. Le secrétaire prend note et reformule.
Le conseil valorise les idées, les prises d’initiatives et la responsabilisation. On y apprend à se connaître, à s’entraider, à construire ensemble. On y parle de ce qui fait la vie de la classe : les apprentissages, les relations humaines. Des décisions sont prises. Les propositions pour améliorer la vie de la classe sont débattues. Les soucis éventuellement rencontrés sont verbalisés et mis à distance. Des solutions sont recherchées. Chacun met en mots ses idées et exprime ses pensées en les argumentant. En poursuivant l’objectif de construire des réponses collectives, chaque élève accepte d’écouter l’autre, réagit à ses idées, modifie sa position initiale ou la nuance pour mieux faire adhérer l’interlocuteur.

Par le débat, les élèves font l’expérience de la démocratie et de la parole sociale. Les conflits d’idées sont inévitables. La parole partagée permet d’apprendre à les régler dans le respect de l’autre.
Si l’enseignant est garant du bon fonctionnement du conseil et doit jouer son rôle d’adulte éducateur, il en est aussi un membre astreint aux règles démocratiques du groupe, ce qui modifie les relations enseignants enfants. Ainsi la mise en oeuvre d’un conseil de coopération suppose quelques préalables :

  • partager des valeurs et des principes (coopération, justice, respect de soi, solidarité, responsabilisation, confiance …);
  • accepter les conflits et le débat;
  • être convaincu que les habiletés sociales s’enseignent;
  • accorder aux interactions entre pairs un intérêt particulier. Le conseil est un outil au service des apprentissages. C’est une situation réelle, complexe grâce à laquelle les élèves développent des compétences :
  • liées à la maîtrise de la langue : exprimer une opinion, argumenter, prendre en compte le point de vu de l’autre,…
  • liées aux domaines des compétences sociales et civiques, d’autonomie et d’initiative : la coopération, la prise de décisions, le sens des responsabilités, la solidarité, le rapport aux principes démocratiques, le respect et le rapport aux règles, le sens de la justice, l’engagement personnel et collectif, l’autonomie, la tolérance, …

Sources: « Le conseil de coopération » Danielle Jasmin

L’article (pdf) publié par la DSDEN du nord : bd115-demarches-innovantes-messages-clairs


Que faire lorsqu’un message clair ne fonctionne pas  ?

La médiation

Le conseil de coopération

Le conseil de coordination

Laissez un commentaire